lundi 14 septembre 2020

Le Monde, Le Figaro et  France Inter  

parlent d'American Dirt, de Jeanine Cummins


France Inter : Ecris-moi l'Amérique du 10 septembre de François Busnel

 American Dirt déchaîne les passions identitaires 

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Le Figaro du 9 septembre : Vers la terre promise, par Etienne de Montéty





Le Monde du  13 septembre : American Dirt, le roman polémique de Jeanine Cummins, par Ariane Singer

 

Histoire d’un livre. Une Mexicaine et son fils fuient la mort qui leur est promise par les cartels. Ecrit par une Américaine, ce roman n’est pas passé inaperçu en plein débat sur l’appropriation culturelle.

« American Dirt », de Jeanine Cummins, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché, Philippe Rey, 544 p., 23 €, numérique 15 €.

Jamais Jeanine Cummins n’aurait pu imaginer la tempête qui allait accompagner la parution, en janvier, de son roman American Dirt aux Etats-Unis. « J’étais une autrice de second rang et je n’avais jamais reçu auparavant une grosse somme d’argent pour un livre. Mes trois premiers ouvrages avaient eu un succès modeste. Je pensais que ce roman serait accueilli de la même façon », raconte au « Monde des livres » la romancière, en visioconférence depuis son domicile de l’Etat de New York. Comme elle se trompait !

American Dirt, qui relate la fuite vers les Etats-Unis d’une libraire mexicaine, Lydia, et de son fils Luca, à bord d’un train de marchandises, aux côtés de centaines d’autres migrants centre-américains cherchant à échapper à la violence des cartels de la drogue et à la misère, a suscité l’appétit de neuf maisons d’édition. Au terme des enchères, l’autrice a signé un contrat « à sept chiffres » (d’après le New York Times) avec Flatiron Books. Son livre s’est écoulé à 1 million d’exemplaires en vingt-deux semaines, et a été encensé par Stephen King comme par Don Winslow, qui a vu en lui « Les Raisins de la colère de notre époque ».

La question de l’immigration latino

Mais à ce concert de louanges a succédé une avalanche de critiques assassines. Conspué dès sa sortie, en majorité par des auteurs et critiques d’origine latino-américaine, American Dirt a été accusé de simplifier à outrance la question de l’immigration latino, et de donner une vision caricaturale du Mexique, présenté comme un pays uniformément violent et corrompu, dirigé par les seuls cartels de drogue : un « fantasme trumpien », a ainsi fustigé l’écrivaine américano-mexicaine Myriam Gurba, qui a ouvert le bal des reproches.

Mais le tort de Jeanine Cummins, aux yeux de ses pourfendeurs, est sans doute ailleurs : elle se dit « blanche ». C’est ainsi qu’elle s’est présentée en 2015 dans une tribune du New York Times, et dans la note d’intention insérée à la fin du livre – à la requête de son éditeur. Elle s’y demande s’« il n’eût [pas] été préférable qu’une personne au teint légèrement plus brun que le [s]ien » s’attaque à un sujet aussi sensible que la crise migratoire aux Etats-Unis. Dans un pays où le débat sur l’appropriation culturelle n’a jamais été aussi virulent, cette étiquette n’est pas passée. Pas plus que la phrase, dans ces mêmes pages, où la romancière déplore la façon dont les migrants latinos sont vus aux Etats-Unis : « Au pire, nous les tenons pour (...) une masse brunâtre et anonyme de gens pauvres et impuissants », écrit-elle, reconnaissant aujourd’hui à quel point ces lignes étaient maladroites.

Piqués, près de 140 écrivains, dont la romancière mexicaine Valeria Luiselli et l’essayiste féministe Rebecca Solnit, ont adressé fin janvier une pétition à la célèbre animatrice de télévision Oprah Winfrey pour qu’elle renonce à recevoir la romancière dans son « Book Club », diffusé sur Apple TV +. L’émission, transformée en débat sur le manque de représentativité des minorités hispaniques dans le monde littéraire aux Etats-Unis a bien eu lieu ; mais la grande tournée prévue autour du roman dans 40 villes américaines a dû être annulée, pour raisons de « sécurité ».

L’autrice revendique ses « origines métissées »

L’ironie de l’histoire tient à ce que Jeanine Cummins, née en 1975 en Espagne, où son père, militaire, était posté, est elle-même en partie latino-américaine : fille et petite-fille de Portoricains, elle revendique ses « origines métissées ». « Je suis portoricaine, blanche, américaine, irlandaise », décline-t-elle, tout en affirmant qu’elle n’aurait « jamais imaginé devoir aborder publiquement cette question. Ça ne regarde personne ». C’est précisément ce mélange et l’histoire de sa famille comme celle de son mari (un Irlandais resté longtemps sans papiers aux Etats-Unis) qui l’ont rendue sensible au sort réservé aux migrants.

Pour rédiger ce livre, auquel elle a consacré cinq ans de travail, Jeanine Cummins a interrogé de nombreux migrants, avocats, universitaires et responsables d’organisations caritatives et humanitaires. Elle s’est rendue deux fois à la frontière mexicaine. A écrit deux premières versions racontant l’histoire d’un petit garçon, Luca, émigré aux Etats-Unis. « Mais ça ne marchait pas. Tous les amis à qui j’ai fait lire le manuscrit voulaient en savoir plus sur Luca. J’ai donc dû affronter ma propre lâcheté. » C’est-à-dire remonter à la source et suivre de bout en bout l’itinéraire de migrants mexicains depuis leur pays.

S’il s’agit d’un roman destiné à éveiller les consciences, American Dirt est surtout un livre de deuil, très personnel, pour la romancière, dicté par la mort brutale de son père, en 2016, d’un infarctus. « J’ai passé des mois assise sur mon canapé. Quand j’ai commencé à émerger de la partie la plus profonde du deuil, j’ai senti que je pouvais m’en sortir par l’écriture. J’ai écrit d’une traite le premier chapitre. Je savais que je tenais mon livre. Celui dont mon père aurait été fier. Puis je suis partie m’isoler huit jours dans le désert d’Arizona. Là, j’ai écrit la moitié du roman. »

Il lui a fallu encore huit mois pour l’achever. Face à la violence des réactions qu’a suscitées son livre, Jeanine Cummins hésite à reprendre la plume dans l’immédiat. Elle craint, dit-elle, de devoir s’autocensurer. « Les voix latinos ont été depuis longtemps sous-représentées et sous-estimées aux Etats-Unis. Mais il m’est douloureux que mon livre agisse comme du sel sur leur blessure. »

Critique

Le voyage de tous les dangers

Libraire à Acapulco, Lydia doit quitter précipitamment la ville après l’assassinat de seize personnes de sa famille, dont son mari, journaliste, et sa mère, par un redoutable cartel de la drogue. Unique rescapée du massacre avec son fils Luca, elle décide de fuir vers les Etats-Unis en s’embarquant clandestinement à bord d’un train de marchandises, le sinistre Bestia, aux côtés de centaines d’autres migrants latino-américains. Après un chapitre liminaire époustouflant de violence et de maîtrise, dans sa description de la scène du crime initial, Jeanine Cummins déroule une épopée poignante entre le Mexique et la frontière vers la terre promise, où Lydia espère trouver la paix et la sécurité.

Richement documenté, American Dirt plonge au cœur d’un voyage de tous les dangers, pour rendre compte de la détermination des exilés qui n’ont plus rien à perdre. D’une écriture fiévreuse mais qui ne tremble pas devant l’horreur de certaines histoires individuelles, Jeanine Cummins décrit précisément les risques encourus par les infortunés voyageurs, comme les mécanismes de solidarité qui se mettent en place, notamment entre les femmes, les plus vulnérables du périple. La romancière, autrice d’un précédent récit sur le viol et le meurtre de ses deux cousines (A Rip in Heaven, « Une déchirure au Paradis », non traduit), déploie ce qu’il faut de pudeur et de colère pour brosser le portrait en creux d’une Amérique qui refuse de regarder en face la détresse de ses voisins.

Extrait

« Une fois à terre, ils se mettent à courir, non parce qu’ils ont le moindre espoir de s’échapper, plutôt pour combattre la futilité de l’acte lui-même, parce que la terreur les oblige à courir. Ils courent parce que chacun d’entre eux comprend que, s’ils sont pris (...) leur capture pourrait s’effectuer hors de toute bureaucratie. Qu’il n’y a peut-être personne qui attend pour traiter leur cas, prendre leurs empreintes et les renvoyer chez eux. Et que leur prise peut se révéler bien plus abominable : kidnapping, torture, extorsion de fonds, un doigt tranché dont la photographie ornera le texto menaçant que les ravisseurs enverront à la famille, là-bas al norte. Une mort lente, atroce si la famille ne paie pas. Les histoires de ce genre sont aussi nombreuses que les pierres dans ce champ. Chaque migrant en connaît plusieurs. Alors, ils courent. » American Dirt, page 304

 


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